Londres, c'est chez moi. Je vis ici depuis que je suis né et je connais la ville par cœur. Et s'il est vrai que j'ai tendance à perdre mon chemin plus que de raison lorsque je me trouve dans un endroit nouveau, il est inconcevable que je me perde dans le dédale familier des rues londoniennes... ou du moins, ça l'était il y a encore quelque mois. Ces temps-ci, je ne reconnaît plus ma ville. Les sorciers ont beau justifier ce changement en accusant les Mangemorts (qui, soit dit en passant, ne sont pas exactement identiques à ceux de la saga Harry Potter, eux non plus - on en vient à se demander s'il y a réellement une part de vérité dans ces bouquins), je reste convaincu que la population magique au grand complet y est pour quelque chose.

Pour être honnête, au début, je n'y ai tout simplement pas cru. J'en ai entendu parler une première fois à la télévision, et j'ai cru à une farce à grande échelle - car on la retrouvait sur toutes les chaînes, sans exception. Il a fallu que je le voie de mes propres yeux pour y croire. Je n'ai jamais été un grand fan de Harry Potter - bien sûr, j'ai vu les films, et j'aime bien. Mais je ne suis pas un grand fan, et j'avoue n'avoir jamais ouvert un seul des livres.

Et maintenant, mon rêve est que rien de tout cela ne soit jamais arrivé. Que la magie n'aie jamais été révélée au monde entier, et surtout, surtout, que jamais personne n'aie eu l'idée absolument stupide de créer les wizzgles. Parce que, croyez-en mon expérience, en devenir un est la pire chose qui pourrait vous arriver - à part peut-être être enfermé seul dans une pièce avec une centaine de rats affamés, mais soyons réalistes : il y a peu de chances que cela arrive, n'est-ce pas ?

Quant aux Mangemorts... je dois dire que ce n'est pas ce qui m'inquiète le plus. En fait, je m'en soucie assez peu. Premièrement parce que j'ai des problèmes bien plus concrets, comme le fait que je semble être désormais incapable de faire trois pas sans provoquer une catastrophe magique d'ampleur mondiale ou bien que la plupart de mes anciennes fréquentations refusent tout contact avec moi de peur que je les contamine (ce qui est tout à fait impossible, d'après le peu que j'en ai compris). Deuxièmement parce qu'au fond, ils ne sont pas pire que n'importe quel gang moldu, et n'importe quelle arme à feu n'a rien à envier à leurs baguettes magiques. Et troisièmement parce qu'ils étaient déjà là avant qu'on connaisse leur existence, et qu'ils ne nous causaient aucun problème - ou du moins, pas à ma connaissance. Je ne vois pas pourquoi ça changerait maintenant que tout le monde sait qu'ils existent.

12 mars 2015
J'ouvris les yeux et mis un moment à reconnaître l'endroit où je me trouvais. Peut-être à cause de l'obscurité totale. Je me relevai un peu vite et ma tête heurta violemment le plafond. Comment se faisait-il qu'il soit si bas ? Ah, oui, c'est vrai. Un appartement sous les toits. Franchement, quelle idée d'habiter dans un  cet espèce de grenier... J'avais toujours eu du mal à comprendre comment Julie avait réussi à y faire rentrer le peu de meubles qu'il contenait. Et elle avait encore trouvé la place d'étaler une couverture par terre. "Ce sera plus confortable, comme ça", qu'elle avait dit avant d'aller se blottir sous sa couette, sur un matelas bien moelleux. Tu parles si c'est confortable... J'avais l'impression d'être passé sous un camion, oui !

Comment j'en étais arrivé là ? Longue histoire...

24 décembre 2014
Frissonnant et grelottant, je sonnai à l'interphone. J'avais été vraiment stupide de partir sans rien emporter. Si j'avais un peu réfléchi, j'aurais au moins enfilé quelque chose d'un peu plus chaud que cette veste en cuir qui, si elle coupait très bien le vent, peinait à me réchauffer par cette froide nuit de décembre.
Et dire que j'avais réussi à manquer le repas de Noël... le fête la plus importante de l'année dans la famille Archer, un évènement à caractère presque sacré... Là, mon gars, t'a vraiment merdé... me dis-je avec une certaine ironie.

​Mais gâcher le réveillon en laissant ma part de gâteau refroidir, lâchement abandonnée, ne m'avait pas suffi. Non, il avait fallu que j'en rajoute en leur annonçant que je laissai tomber les études de médecine pour faire du théâtre. De toute façon, j'avais toujours été un élève médiocre, et puis, médecin... Pas fait pour moi, ça. Sauf que mes parents ne voyaient pas les choses de cet œil-là. Comme beaucoup de parents, ils pensaient savoir tout mieux que moi sous prétexte qu'ils étaient plus ridés. Leur fils, acteur ? Hors de question.

Alors il y avait eu des protestations, des cris, des menaces, des larmes aussi. Puis mon père avait déclaré que, de toute façon, il ne voulait pas un bon à rien dans sa maison. "Parfait !" avait été le dernier mot que j'avais prononcé. Puis j'étais parti. Je serai bien monté récupérer quelques affaires, mais j'avais peur de réveiller ma sœur. Et alors elle voudrait savoir ce qui se passait, et elle voudrait m'empêcher de partir...

L'interphone grésilla, et je sursautai, surpris. Une voix ensommeillée s'éleva hors de l'appareil. « Je vous préviens, si c'est une mauvaise blague...
- Julie, c'est moi, Liam.
- Liam ? Mais qu'est-ce que tu fiches dehors à cette heure-ci ? Le soir de Noël, en plus ? Monte, je t'ouvre ! »

Un quart d'heure plus tard
« Et évidemment, tu n'as même pas pensé à prendre un manteau. Non, il a fallu que monsieur joue les fiers et s'en aille dignement, sans un mot. Eh bien, je te félicite : tu as les doigts de pieds gelés et l'honneur intact. L'inverse aurait mieux valu, non ?  »

Assis sur le lit, enroulé dans une couverture bien chaude, je ne répondis pas, mais je baissai la tête et affichai une mine faussement honteuse - tout en me mordant les joues pour ne pas éclater de rire.

« C'est ça, fais-moi ta petite tête. Mais tu peux toujours courir pour que je te plaigne ! C'est entièrement de ta faute. Qu'est-ce qui t'a pris de leur balancer un truc pareil le soir de Noël, après être arrivé avec... oh, une heure de retard, deux grand maximum ! Tu sais bien qu'ils sont fragiles depuis toute cette histoire autour de la magie. Que le moindre choc les bouleverse plus que de raison. Mais monsieur s'en fiche, monsieur n'en fait qu'à sa tête, après tout, ce ne sont que ses parents. Tant pis s'ils ne lui adressent plus la parole... que dis-je ? Tant pis ? Tant mieux, oui ! »

Tout en parlant, Julie ouvrit le frigo (qui avait plutôt le gabarit d'une glacière) et en sortit une bouteille de lait qu'elle vida de moitié dans une casserole. Puis elle alluma le réchaud, y posa la casserole et ouvrit l'unique placard, dont elle sortit deux bols et une boîte de chocolat en poudre. Je la regardai faire, un sourire béat accroché aux lèvres - collé serait plus juste, et avec de la super glu. La façon dont ses petites boucles rousses remuaient en tous sens à chacun de ses mouvements, dont ses petites mains délicates s'activaient pour mélanger le lait et le chocolat dans un bol, dont ses petits yeux noisette frangés d'épais cils noirs voletaient de ci, de là, jamais immobiles tandis que sa petite bouche rose lançait reproche sur reproche et que son petit nez constellé de tâches de rousseurs retroussait, réprobateur...

« Je t'aime, » lançai-je soudain, coupant net les remontrances de Julie. Et, oh, surprise ! un petit sourire s'épanouit sur la petite bouche pleine de reproches, illuminant le petit visage arrondi.
« Je le sais bien, gros bêta, » rétorqua Julie en déposant un bol brûlant dans mes mains. « Moi aussi, je t'aime. Même si, c'est vrai, il m'arrive d'être un tout petit peu...
- Agressive ? Injuste ? Blessante ? Brute ?
- Non ! Un peu... un peu... rrrah ! Bois ton chocolat avant qu'il ne refroidisse et tais-toi ! »

11 mars 2015
Je sortais d'un cours de théâtre, et je marchais sur le chemin du retour, les mains enfoncées dans les poches, complètement détendu. Heureux, même, comme chaque jour depuis que je vivais avec Julie. Si vous m'aviez demandé de décrire ma vie à ce moment-là, j'aurais dit qu'elle était parfaite. J'aurai voulu que rien ne change jamais.

Mais dans la vie, on n'a pas toujours ce qu'on veut. Souvent, il y des imprévus, quelque chose tourne mal, vous surprend au détour d'un sentier...

En l'occurrence, la surprise se manifesta sous la forme d'un viel homme aux cheveux blancs comme neige, bizarrement vêtu d'une cape vert anis et d'un chapeau pointu assorti, qui apparut littéralement au beau milieu de la rue. Interloqué, je me figeai. J'avais beau connaître l'existence du monde magique et parfois le côtoyer, voir un homme surgir de nulle part sans prévenir restait assez déconcertant. Allez, Liam, ressaisis-toi. Ce type est très certainement un sorcier qui pourrait te changer en crapaud si ça l'amuse, alors pas de gaffe.
« Bonj... » commençais-je de ma voix la plus amicale. Je n'eus pas le temps de dire un mot que l'inconnu pointait sa baguette magique vers moi d'un air belliqueux, en s'exclamant : « Stupéfix ! »

Je fis un précipité pas en arrière, totalement inutile puisque je reçus le rayon rouge en pleine poitrine. Par réflexe, je fermai les yeux. Lorsque je les rouvris précautionneusement une minute plus tard, à ma grande surprise (et à mon grand soulagement), j'étais intact. Je tournai et retournais mes mains devant moi puis m'observai sous toutes les coutures. Rien d'inhabituel. Peut-être que c'était un sortilège à retardement... Je me tournais alors vers mon agresseur. Il semblait aussi perplexe que moi devant le manque d'effet de son sortilège, et il me fixait d'un air suspicieux, les sourcils froncés.
« Vous pouvez bouger, » constata-t-il.
« Heu... oui. Je ne devrais pas ?
- Non, vous ne devriez pas.
- Ah. Si vous le dites. Et, à part ça, c'est une habitude, chez vous, de jeter des sorts à tous les gens que vous croisez ? »

Là, le sorcier éclata de rire, ce qui n'était pas pour me rassurer. Hilare, il me raconta une histoire étrange comme quoi il "stupéfixait" toujours les moldus qui le voyaient faire usage de la magie avant de leur effacer la mémoire, une vielle habitude datant de l'époque où les sorciers cachaient leur existence au reste du monde. Et il avait tendance à oublier que ce n'était plus nécessaire. Je ne voyais pas vraiment en quoi c'était drôle, mais bon, de toute façon, ce vieux n'était sans doute pas tout à fait sain d'esprit. Pas de quoi s'offusquer, surtout que son sort n'avait même pas fonctionné. Si ça se trouve, cet olibrius n'était même pas un véritable jeteur de sorts, mais simplement un petit farceur.

« Et, hem, dites, votre truc, là... votre sortilège. Vous avez une idée de la raison pour laquelle il n'a pas fonctionné.
- Ben, maintenant que vous le dites, c'est simple : je crois bien que je vous ai transformé en wizzggle. »

12 mars 2015
Voilà. Maintenant, Julie refusait tout contact avec moi de peur d'être contaminée, et je me retrouvais forcé d'aller à l'université de magie. Obligatoire pour tous les wizzggles. En plus, mon crâne était douloureux depuis que je m'étais cogné la tête - ce qui était aussi à cause de la magie, parce que, sans toute cette histoire, j'aurais dormi dans un moelleux, juste à côté de Julie. Et à la place, j'avais passé la pire nuit de mon existence, coincé entre le mur, le lit, et le plafond horriblement bas à cet endroit de la pièce. Merci Harry Potter !

Pourquoi moi ? Pourquoi ?

28 juin 2015
Depuis bientôt trois mois que je suis un wizzggle, je commence à m'habituer. Je suis toujours convaincu qu'en devenir un est le pire chose qui me soit jamais arrivé, mais bon. Je fais avec.

J'ai essayé d'expliquer à Julie qu'être wizzggle, ça ne s'attrapait pas comme ça, qu'il fallait un fort contact avec un sorcier ou sa magie. Elle n'a rien voulu entendre. Comme à chaque fois que mon avis diffère du sien, elle n'écoute même pas mes arguments, convaincue qu'elle est d'avoir raison. Je crois qu'elle a trop peur pour prendre le moindre risque, et je commence à me faire à l'idée que je l'ai définitivement perdue. Enfin, disons j'essaie de m'y faire.

N'ayant jamais été un grand fan de Harry Potter, j'avais des lacunes considérables dans le domaine de la sorcellerie. Et comme, que je le veuille ou non, je fais désormais partie du monde magique, j'ai fini par me résoudre à faire la seule chose censée dans la situation où je me trouvais : j'ai couru à la librairie la plus proche et j'ai acheté l'intégral de Harry Potter. Le libraire n'en revenait pas que quelqu'un veuille encore de ce ramassis de mensonges, mais quoi qu'on en dise, ça reste la principale source d'informations dont on dispose. Et ça m'a bien aidé ces derniers mois.

Bref, je me fais lentement à ma nouvelle vie - ce qui ne m'empêche pas de regretter amèrement l'ancienne.

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