Londres, la seule ville que Sören a connu en tant que chez soi. Même si ce terme n'est pas le bon, il ne s'est jamais vraiment senti chez lui nulle part. Il s'en fiche, en fait. C'est là où se trouve sa maison, les écoles qu'il a fréquenté, tout ce qu'il connaît, mais ça ne le dérangerait pas de tout plaquer pour aller vivre ailleurs. C'est juste une ville comme une autre, assez grande pour qu'on ne fasse pas attention à lui. Il connaît certains quartiers comme sa poche, d'autres dont il ne pourrait même pas dire le nom. Quand il croise des touristes, il prend un accent espagnol et essaye de dire qu'il n'est pas de la ville, principalement parce que ça le fait chier, et en plus il est peu probable qu'il connaisse l'endroit où ces touristes veulent se rendre. Lui il connaît le chemin jusqu'à l'université, le chemin jusqu'au supermarché le plus proche et voilà, il n'a pas besoin de plus. Il ne sait pas s'il y passera sa vie, mais il adore voyager. Du moins il adorait, jusqu'à il y a quelques semaines, quand il est revenu du Canada avec un caractère bien moins agréable, et une tendance à devenir poilu et encore plus irritable une fois par mois...

Sören a toujours été au courant des deux facettes du monde dans lequel il vit. Toujours été au courant qu'il y avait d'un côté, les sorciers et de l'autre, les moldus. Et au milieu, il y avait lui, cracmol, que sa famille refusait quasiment de voir. Né et élevé comme un sorcier pendant onze ans, sa déception fut immense lorsqu'il ne reçu pas sa lettre pour Poudlard. Comme souvent dans ces cas-là, il fut envoyé en pensionnat moldu pour sa période adolescente, pour que ses parents et en particulier son père n'aient pas à subir chaque jour la vue de cet échec. Au départ humilié, il s'est fait à cette vie. Il sait parfaitement que les sorciers existent, mais il s'en détache de plus en plus au fur et à mesure que les années passent. Il accepte de plus en plus sa condition de cracmol, se considérant presque comme un moldu. Il avait des amis moldus, une vie moldue, et une famille sorcière qui ne l'accepte pas. Ne l'acceptait, pas. Il y a eu un petit détail, qui a tout changé. L'apparition des wizzggles. Sören n'a jamais voulu en être un. Il ne voulait pas revivre cette période de sa vie où il était entre les deux, sans vraiment savoir qui il était vraiment. Il n'a pas eu le choix. Son père, qui ne s'est jamais remis de la déception qu'a été son fils, a profité de connaître les méthodes pour créer un wizzggle. Sans l'accord de Sören, il l'a transformé en demi sorcier. Il déteste cette magie, quelque part. Ce n'est pas la bonne, pas celle qu'il aurait dû avoir. Elle est mauvaise. Il aime parfois faire quelques sorts, mais il touche du doigt le potentiel qu'il a raté en étant cracmol. Ça le frustre plus que tout. Aucun membre de sa famille ne comprend ses réactions. Après tout, il peut utiliser la magie maintenant, non ? Alors il devrait arrêter de se plaindre.
D'ailleurs, il a arrêté de se plaindre. Très récemment. Quand il est revenu de ses vacances au Canada, chamboulé. Il est désormais un loup-garou, et bien qu'il n'ait pas encore subi de pleine lune, il sait. Et il sait aussi, que s'il est en vie, c'est parce que son père lui a transmis sa magie. Sans elle, le virus l'aurait détruit de l'intérieur. Et il serait mort. Ça aurait été con quand même.

Sa respiration était rapide, sifflante, difficile. Assis dans un coin du sous-sol de sa maison, Sören se prend la tête dans les mains, essayant de calmer son organisme. Il a mal, tellement mal. Le virus se développe à l'intérieur de son organisme en le faisant souffrir le martyre. Son cœur bat trop vite, il a l'impression que chacun de ses muscles et en train de s'embraser. Il se bat contre tout ce qu'il ressent, mais il ne sait pas s'il y arrive. Essayant de prendre de longues inspirations et de retarder l'inévitable le plus possible, il passe une main dans ses cheveux ébouriffés. Il a l'impression que la bête est coincé à l'intérieur de lui, qu'elle essaye de sortir, qu'elle pousse, gratte, hurle contre les barreaux que représentent sa cage thoracique. Il essaye de penser à autre chose. D'oublier qu'il a l'impression de s'embraser de l'intérieur.

30.06.1994 – « Sören, regarde ! » Le frère de Sören, prénommé Silas, accourrait vers l'enfant de trois ans son cadet, tenant ce qu'il semblait être un livre entre ses mains. Son petit frère releva des yeux boudeurs, lâchant les jouets qu'il tenait en main. Il a trois ans et demi, le môme. Il comprend pas pourquoi son frère s'excite autant pour du papier imprimé. Il plisse les yeux tandis que Silas se rapprochait de lui. « Regaaardeuh ! » Sören fixe des yeux les signes écrits sur la couverture du livre sans évidemment réussir à les déchiffrer. « Ca parle des sorciers, et d'Harry Potter. » Il ricane, tandis que son frère reste sans réaction. Harry Potter. Il a déjà entendu ce nom quelque part. « Tu sais lire ? » Il demande simplement, de sa voix fluette et enfantine. Le plus vieux des deux enfants hausse un sourcil, dédaigneux. « Bien sûr que je sais lire. J'ai six ans, imbécile. » Il réplique en lui donnant une légère tape sur la tête. Sören pousse un léger cri en portant ses mains à sa tête, frottant son cuir chevelu en espérant faire partir la ridicule douleur. « Vous n'allez pas lire ça. Ce ne sont que des conneries. » Les deux enfants relevèrent la tête au moment où leur père arrivait à leur côté. Il prit le bouquin des mains de son fils aîné et le feuilleta. « Qui te l'a donné ? » L'enfant ne répondit que par une légère moue, secouant la tête. Le paternel soupira et, d'un coup de baguette magique, mit feu à l'ouvrage avant de le jeter sur le côté du jardin du domaine familial, sur des pavés. Calciné et illisible. « Ce sont des stupidités destinées aux moldus. Soyez plus intelligents. » Silas fronça les sourcils et son frère regardait l'homme repartir vers leur maison. Ils jetèrent en même temps un coup d'œil à leur mère, qui lisait à l'autre bout du jardin, mais elle secoua la tête, d'accord avec son mari.

Sören fut secoué d'un rire nerveux. Pourquoi il se rappelait de ça maintenant, au passage ? Ça n'a aucun sens. Harry Potter... Malgré les remontrances de son père, il les avait lu ces bouquins lorsqu'il était coincé dans un internat moldu. Il les avait lu, parce que c'était le seul moyen pour lui de croire qu'il n'était pas juste un raté. Il voulait croire à l'histoire que Rowling a écrit, même s'il savait qu'elle était fausse. Pff. Il étouffe un gémissement au moment où ses muscles s'embrasent de nouveau. Peu importe à quel point ils étaient faux, il a aimé les bouquins, et les films. Tout en sachant que ce n'était que des conneries, évidemment. Mais si à l'époque tout le monde pensait que ce n'était que de l'imaginaire, pourquoi ça ne pourrait pas le rester ? Même s'il avait du mal à imaginer un Harry Potter doué, pour le coup.

18.07.2004 – « C'était trop bien ! » Sören sourit aux cris d'exclamation de ses amis alors qu'ils sortaient d'une séance de cinéma, celle du troisième Harry Potter, plus précisément. Et il ne pouvait qu'être d'accord avec eux, le film en lui-même était vraiment bien. Mais le cracmol ne pouvait pas s'empêcher de se rappeler que ce n'était qu'une parodie de la réalité des sorciers. Réalité qui n'était pas la sienne. Qui aurait pu l'être, mais qui ne l'était pas. Le gène qui était censé activé sa magie est défaillant, et si une quantité infime de magie coule dans ses veines, elle ne sera jamais assez présente pour qu'il puisse faire le moindre sort. Il est encore déçu de ce qu'il est. Il aurait dû s'en douter, à ses onze ans, lorsque la lettre pour Poudlard n'est pas arrivé. Évidemment, ill n'a jamais démontré le moindre signe de magie de toute son enfance. Mais tout de même, ça lui a fait un choc. Un choc tel qu'il a refusé de manger pendant au moins une demi-journée, avant de rebattre sa déception sur les tablettes de chocolat. Il s'habitue petit à petit à vivre comme un moldu. Il s'est fait des amis moldus, qu'il aime bien d'ailleurs. Mais il a été envoyé en internat, juste parce que sa présence devait être trop insupportable pour ses parents. Leur fils leur rappelait sans cesse qu'il était une erreur en ayant l'audace de continuer à vivre dans la même maison. Alors que ses amis continuaient à débattre sur le film, lui soupirait. Il avait beau savoir que ce n'était qu'une déformation de la réalité, il aurait tout donné pour mettre les pieds à Poudlard, lui aussi.

Il délire. Il ne voit que ça, comme explication. Pourquoi il se remet à penser à des petits trucs pareils, aussi insensés ? Alors qu'il a l'impression que tout son être est en train de se déchirer, il pense juste à des livres, et à des films. Ses mains griffent le sol, sans raison. Il en a marre. Il sait ce qui lui arrive, ce n'est que le début, et il en a marre. Il a l'impression que quelque chose est en train d'essayer de prendre le contrôle, de le détruire. Il essaye de faire en sorte que la bête se calme. Qu'elle arrête de le faire souffrir. Mais il sait bien qu'elle ne peut pas. L'astre lunaire l'appelle. Sa mâchoire se serrait. Bordel. Sören c'est un gars à chat, et le voilà à deux doigt de se transformer en toutou. Et pas en petit.

05.12.2010 – Il a enfin pu arrêter ses études. Pour Sören, c'est comme une libération. Il déteste étudier, il trouve que c'est une perte de temps. Il a trouvé un petit boulot pas franchement bien payé, mais au moins ça l'occupe. Au grand malheur de son père, ça signifie qu'il est rentré chez lui. Mais il s'en fiche, désormais. C'est un cracmol, presque un moldu. Il ne se considère pas comme un sorcier raté à vrai dire, il assume. Ce qui horripile encore plus ses parents. Mais qu'est-ce qu'ils y peuvent ? S'ils continuent, ils vont juste faire en sorte que leur fils les déteste. Pour lui, les sorciers existent, les moldus existent, et il est plus moldu que sorcier. Il a pas de problème avec ça, même ça l'amuse. Il est habitué, il n'a jamais vu Poudlard et n'en à rien à faire. Son frère est à l'université magique, d'ailleurs. Il poursuit ses études jusqu'à 25 ans, pff. Qu'est-ce que ça doit être chiant. Et pour faire quoi, surtout ? Les débouchés sorciers, ça doit pas se bousculer au portillon hein. « Tu vas rester là toute la journée ? » Il lève les yeux vers son père. Il est devant son ordinateur, toujours avec du chocolat à portée de main. « Bah j'ai fini de travailler pour aujourd'hui. Faut se détendre... » Un simple grommellement sorti de la gorge du paternel avant qu'il ne s'en aille de nouveau. Il soupire.

Un rictus s'inscrit sur ses lèvres, malgré la douleur. Si tout avait pu continuer comme ça, ça aurait été bien. Sa vie aurait été tranquille. Il aurait rien foutu, vivant au jour le jour, au rythme de son calendrier de sorti des épisodes. Il aurait continué à ne rien faire. Ça aurait été bien. Sauf que sa foutue vie se serait arrêté le jour où ce foutu loup a essayé de le bouffer. Le virus l'aurait détruit. Mais grâce à papa, il est un wizzggle maintenant. Quelque chose d'encore moins défini qu'un cracmol, c'est pour dire. Il retint un hurlement tandis que sa mâchoire lui donnait l'impression de se disloquer. Pourquoi ça peut pas être rapide cette merde ? C'est obligé d'être aussi dramatique ? Ça fait mal, putain.

12.02.2014 – « Tu dois être content, non ? » Silas relève les yeux vers son frère, qui faisait comme s'il ne comprenait pas. « De quoi tu parles ? » Son frère poussa un soupir tandis que Sören se renferma un peu plus sur lui-même. Il aurait dû être content, probablement. « Tu sais. T'es un sorcier, maintenant. » Il tiqua. Non, non et non. Comment pouvait-il dire ça ? « Tu déconnes. Je suis une sorte de truc perdu entre un sorcier et un moldu. Un truc bizarre à qui on a même pas demandé son avis. » Wizzgle. C'est quoi ce nom pourri sérieux. Son père lui a rien demandé. Il lui a demandé de venir, et lui a balancé sa magie dessus. Comme ça, y aura plus d cracmol dans la famille. Pouf, disparus, la honte et la déception. Il avait voulu faire de son fils une sorte de sorcier, mais il avait juste réussi à faire en sorte que celui-là le déteste un peu plus. « J'aimerais bien qu'on me demande, la prochaine fois qu'on me balance un sort à la gueule. »

Ouais, il aimerait bien qu'on lui demande. Surtout dans ce cas-là. Personne ne pouvait comprendre pourquoi il aurait voulu rester cracmol, non ? C'était la honte d'être un cracmol. Totalement pourri. Mais au moins ça avait du sens. Pas comme ça, un wizzggle. Un truc entre les sorciers et les moldus. Rien que de penser à sa sorte de baguette qu'on lui avait refilé, ça lui donnait envie de frapper quelqu'un. Ou alors c'était juste parce qu'il était en train de souffrir comme un chien et qu'il aurait sûrement envie de bouffer quelque chose dans quelques minutes.

12.04.2015 – Quand il repensait à la semaine de vacances qu'il avait passé, il s'était dit que tout aurait bien pu se passer. Tout c'était d'ailleurs très bien passé. C'était la première fois qu'il se rendait au Canada, et s'il avait entendu parler de tous les trucs invraisemblables – sincèrement, ils ont des cerfs qui font deux mètres cinquante de haut – et qu'il avait déjà entendu parler des loups porteurs du virus garou, il n'aurait jamais cru en rencontrer un. Sa petite semaine de vacances s'est transformée en deux jours sympas et le reste dans un hôpital magique. On lui a dit qu'il avait de la chance. Beaucoup de chance. Parce que c'est un wizzggle, parce qu'il ne s'est pas fait bouffer par le loup. S'il était resté cracmol, les rares traces de magie qui étaient toujours dans ses veines auraient été insuffisantes pour combattre le virus. Il serait mort. Pff. Lycan, loup-garou, peu importe les noms qu'on lui donnait, il serait à jamais marqué par la morsure de ce stupide animal. Il aurait préféré se faire mordre par un chat. Sincèrement, un chat-garou c'est trop la classe. Et en plus, personne en a jamais entendu parler. Et en plus ça le dispensait pas de cours, non. Il était obligé, comme depuis un an, de retourner à l'université sorcière. Ça l'avait déjà bien fait chier de reprendre ses études, et il ne savait pas si 'est devenu un loup-garou' est une excuse valable pour rater ses exams. Au fond, lui il aurait dit oui.

Il savait que c'était un moment difficile à passer, on l'avait prévenu, mais pas à ce point. Tous ses muscles semblaient se déchirer les uns après les autres. Semblaient gonfler sous sa peau pour accueillir l'animal. Il sentait ses os se déplacer. Il avait de plus en plus de mal à se tenir assis. Il refusa de regarder ses mains, de peur d'y voir ce qu'il croyait qu'il y avait. Il avait bien changé, depuis un mois. Déjà, il avait pris cinq centimètres en très peu de temps. Ça, c'était plutôt bien. Il était devenu un peu plus musclé, et il savait que ça ne s'arrêterait pas là. Chacune des petites blessures qu'il se faisaient étaient guérie quelques heures plus tard. Il était plus endurant. Plus sur les nerfs aussi, et plus facile à énerver. Son cœur battait plus vite, et il était plus rapide. Mais au fond, tout ça ne justifiait pas la douleur qu'il éprouvait à ce moment. Incapable de se retenir, il laissa échapper un hurlement qui n'avait plus rien d'humain. Sa première pleine lune. 

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